Quand les blessures de l’enfance refont surface : comprendre l’impact des traumas sur la transition à la parentalité

Devenir parent est une étape bouleversante, pleine de joies, mais aussi de défis. Cette transition vient redéfinir notre identité, notre couple et notre quotidien. Pour les personnes ayant grandi dans un environnement marqué par la maltraitance, la négligence ou d’autres formes de traumas, ce passage peut réveiller d’anciennes blessures. Cependant, cette prise de conscience n’est pas toujours immédiate : souvent, les personnes découvrent en thérapie que leurs difficultés actuelles viennent de traumas passés.

Avoir vécu de tels événements ne condamne toutefois pas la personne à être malheureuse ou à vivre une relation de couple insatisfaisante. Il est possible de construire des relations sécurisantes et d’écrire un nouveau chapitre.

Qu’entend-on par trauma pendant l’enfance ?

Le mot « trauma » peut sembler vague ou lourd, mais il renvoie à des expériences précises de maltraitance et de négligence vécues dans l’enfance. Celui-ci peut inclure :
Les agressions sexuelles ;
La violence physique (coups, blessures infligées volontairement) ;
La violence psychologique (insultes, menaces, humiliations) ;
La négligence physique (besoins de base non comblés) ;
La négligence émotionnelle (absence de chaleur, d’attention, de validation) ;
Le fait d’être témoin de violence conjugale ;
Et dans certains cas, l’intimidation.

Ces expériences sont rarement isolées. Souvent, elles s’accumulent et s’entrecroisent, créant ce que la recherche appelle des traumas cumulatifs. Et plus ces expériences sont nombreuses et répétées, plus leurs impacts à long terme tendent à être marqués.

Au Canada, une personne sur trois rapporte avoir vécu au moins une forme de maltraitance ou de négligence pendant l’enfance. Autrement dit, il s’agit d’une réalité bien plus fréquente qu’on ne le croit.

Quand l’enfance bouscule la parentalité

La parentalité implique une réorganisation complète : passer du couple à la famille, trouver un nouvel équilibre, ajuster son identité. Pour une personne qui n’a pas grandi dans un environnement sécurisant, cette étape peut être encore plus déstabilisante et amener son lot d’impacts, se manifestant de plusieurs façons :

Difficultés à faire confiance 
Durant l’enfance, lorsque nous avons appris que les adultes qui devaient prendre soin de nous, n’ont pas été fiables ou sécurisants, cette perception de menace peut se réactiver au moment de prendre soin de son propre enfant, notamment par une peur de faire du mal à son enfant ; 

Gestion des émotions difficile
En grandissant dans des environnements négligents ou violents, on apprend plus difficilement à identifier et à réguler ses émotions. Pour y faire face, certaines stratégies sont alors mises en place. En devenant parents, certaines d’entre elles sont mises à l’épreuve parce qu’elles sont plus difficilement conciliables avec la parentalité. De plus, certaines de ces réalités peuvent devenir elles-mêmes des déclencheurs, tels que l’imprévisibilité et le manque d’espace pour soi. Par conséquent, les stratégies existantes pour vivre ses émotions peuvent devenir inutilisables

Dissociation 
Certains parents peuvent se couper de leurs émotions comme stratégie de survie, une habitude développée dès l’enfance pour faire face au danger. Si elle se prolonge à l’âge adulte, cette dissociation peut nuire à la connexion avec son enfant ou avec son ou sa partenaire ;

Hypervigilance
Vouloir éviter à tout prix de reproduire son histoire peut mener à une pression énorme, parfois jusqu’à la surprotection. Or, une surprotection excessive peut priver l’enfant d’occasions de développer ses propres stratégies pour faire face à la vie;

Culpabilité et comparaison 
Jumelés à l’image idéalisée de la parentalité intensive véhiculée sur les réseaux sociaux, les parents ayant un vécu traumatique peuvent se sentir encore plus inadéquats, surtout lorsqu’ils adoptent des comportements vécus dans leur propre enfance.  

 

Ce qui fait la différence, ce n’est pas la capacité à être un parent parfait en tout temps, mais bien de tenter d’être un parent démontrant une volonté de réparer pour reconnecter. Revenir vers son enfant après une réaction disproportionnée, s’excuser, montrer qu’on peut apprendre et évoluer, c’est un modèle riche pour l’enfant. – Noémie, psychologue

Lorsque la maltraitance bouscule la relation de couple

Quand on devient adulte, la figure d’attachement principale n’est plus le parent, mais le ou la partenaire amoureux·se. Cela signifie que les blessures vécues dans l’enfance se rejouent souvent dans la vie de couple. Quelques exemples fréquents :

Peur de l’abandon 
Cette peur se manifeste par un besoin constant de réassurance ou anxiété si l’autre s’éloigne, des doutes constants de l’amour de l‘autre ;

Évitement de l’intimité
La tendance à se couper de ses besoins affectifs ou à se montrer trop indépendant pour éviter de souffrir ;

Réactions perçues comme disproportionnées
Elles peuvent être déclenchées par ce qui semble mineur, par exemple un oubli du quotidien, parce que celui-ci réveille une émotion intense liée au trauma ;

Difficultés dans la sexualité 
La sexualité implique une grande vulnérabilité, car on se met à nu de toutes les manières.. Elle peut être affectée par la difficulté à faire confiance, à se laisser aller ou à rester connecté·e à ses sensations.

Ces dynamiques peuvent compliquer la communication au sein du couple, surtout lorsqu’elles s’ajoutent aux défis de la parentalité. Toutefois, elles peuvent aussi devenir une opportunité de croissance si elles sont reconnues et travaillées, parfois avec l’aide d’un·e professionnel·le connaissant bien les enjeux traumatiques.

Entre espoir et résilience

Apprendre à devenir parent, mais aussi à vivre sa relation amoureuse en tant que parent, c’est apprendre à composer avec son histoire, tout en développant de nouvelles ressources.

La prise de conscience
Reconnaître que ce que l’on a vécu était injuste, douloureux, et qu’il a laissé des traces. Cette étape peut être bouleversante, mais elle ouvre la voie au changement ;

La compassion envers soi-même
Offrir à l’adulte que nous sommes aujourd’hui le regard bienveillant que l’enfant n’a pas reçu. Cela demande parfois de commencer par reconnecter avec sa « petite version de soi », cet enfant intérieur qui mérite d’être reconnu et aimé ; 

La réparation dans la parentalité
Montrer à son enfant qu’on peut faire des erreurs, s’excuser et évoluer. Ce geste simple devient une occasion de transmettre un modèle différent de celui qui a été reçu ;

La communication dans le couple
Créer des moments réservés pour parler, même de manière planifiée, afin de sortir des silences ou des explosions émotionnelles. Parfois, l’accompagnement d’un·e thérapeute aide à établir un espace sécuritaire ;

La patience et l’espoir
Le changement est progressif. Beaucoup de personnes ayant vécu des traumas développent une résilience extraordinaire. Elles ne sont pas condamnées à reproduire leur passé : elles ont la capacité de briser les cycles.

Un chemin exigeant, mais possible

Vivre avec un passé marqué par de la violence et/ou de la négligence n’est pas une fatalité et devenir parent peut devenir une occasion unique pour écrire votre histoire afin de la transformer. Votre histoire ne vous définit pas. Elle fait partie de vous, mais elle n’empêche pas de construire une parentalité empreinte d’amour, de bienveillance et de résilience.

Si vous vous reconnaissez dans ces expériences, sachez que vous n’êtes pas seul·e. Vous accorder de la patience, reconnaître vos efforts et demander de l’aide sont déjà des pas significatifs.